Où vivez-vous et comment vivez-vous ?
Je suis voyageuse depuis un an et demi. Je vis uniquement avec mon sac à dos et je change régulièrement d’endroit. Aujourd’hui je suis à Holbox, une île mexicaine. Demain je repars et je ne sais pas où je dormirai. Je fais du CouchSurfing, c’est une pratique qui me permet de rencontrer des gens et d’être hébergée gratuitement. Je le faisais déjà en France, mais là c’est moi qui accueillais du monde. Quand je ne trouve pas, je vais dans des auberges de jeunesse, c’est-à-dire le moins cher. La dernière fois, j’ai rencontré un groupe de français qui ne parlait pas espagnol donc ils m’ont proposé de les accompagner dans leur périple, pendant une semaine, pour traduire. En échange, ils m’ont payé tous les hôtels et tous les restaurants. Voilà, je me débrouille comme je peux, je fais en fonction des opportunités. J’ai quand même des économies qui datent de quand j’étais en France. J’essaie de dépenser le moins possible parce que quand je n’aurais plus d’argent, cela voudra dire que ce sera la fin du voyage.
Pourquoi être partie de la France ?
Depuis petite, j’ai toujours voulu voyager mais je ne me le suis jamais vraiment permise parce que j’avais peur de me lancer. En plus, à l’époque j’étais en couple et mon copain n’était pas forcément dans l’esprit « voyage » etc. Puis, j’ai un peu laissé taire cette idée au fond de moi jusqu’à ce que cela devienne plus fort que moi. Quand je travaillais en France, j’avais un mois de vacances par an. Pendant 3 ans, j’ai consacré ce mois à des missions humanitaires. Un jour j’ai rencontré un ami, on a eu une longue conversation face à l’océan, il m’a dit « Tu sais Marie, le monde c’est un village, c’est pas si dur que ça de partir. Il suffit juste d’être heureuse. Donc pars si tu en as envie. » Et quand je suis rentrée, j’ai dit à mes chefs qu’il ne fallait pas qu’ils me comptent dans l’équipe l’année suivante.
J’ai quitté la France en prenant une année sabbatique sans savoir où j’allais. Je n’avais aucun plan mais je me suis vite retrouvée pendant deux mois, en Equateur, pour une mission volontaire. Je voulais, ensuite, partir au Liban faire une mission humanitaire mais au dernier moment, on m’a appelé pour me dire : “Ici c’est la révolte, tu peux venir mais il n’y a pas d’école, il n’y a rien à faire”. Du coup, je n’y suis pas allée et j’ai décidé de me rendre en Suisse avec pour projet de rejoindre Saint-Pétersbourg en train. Finalement cela ne m’a pas trop enchanté. Je suis donc rentrée en France 1 jour, pour changer mes valises, puis j’ai rejoint le Maroc. J’ai passé deux semaines, avec mon sac à dos, dans le pays dont une dans le désert. De là je suis repartie travailler pendant deux mois en Suisse jusqu’au 5 janvier 2020. Le lendemain, j’étais dans l’avion direction la Colombie pour un mois avec une copine. Tout le monde me disait que la Colombie c’était dangereux, surtout pour une fille seule. Malgré tout, j’y suis restée un mois de plus, puis encore un mois etc. Puis, le Corona est arrivé. Je venais d’arriver dans la jungle donc j’ai vécu 6 mois avec des amis au sein d’une communauté, dans une tente et sans électricité. Après ça je suis rentrée au village, situé toujours dans la jungle et là au 31 décembre j’ai décidé de découvrir un nouveau pays pour la nouvelle année. J’ai choisi le Mexique.
Quel a été votre ressenti quand vous avez vécu dans la jungle, loin de tout ?
Ça a été la libération ! J’ai dit adieu à la fille que j’étais avant. C’était un peu stressant car je ne savais pas ce qui allait se passer le lendemain mais je vivais un truc de fou ! J’ai rencontré de très, très bonnes personnes mais j’ai eu aussi des mésaventures. Il y a peu de temps, je me suis fait voler mon argent. Il ne faut pas faire trop confiance. Je suis complètement épanoui dans ma nouvelle vie. Peut-être qu’un jour j’aurai envie de revenir mais pour l’instant ce n’est pas dans mes projets.
Avez-vous gardé des contacts avec la France ?
Bien sûr ! D’abord avec ma famille parce que j’estime que cela ne doit pas être évident pour eux, de me voir partir loin, toute seule, sans avoir de date de retour. J’ai vraiment une famille en or, c’est vraiment très important pour moi de garder des liens avec eux. J’ai aussi des amis en France mais avec la vie qui passe on ne se donne pas forcément de nouvelles. D’ailleurs, ceux avec qui je garde le plus de contacts, ce ne sont pas forcément ceux avec qui je pensais le faire. Il y a des gens avec qui j’étais très proche en France et que je voyais tous les jours et qui maintenant ne me donnent presque plus de nouvelles et à l’inverse d’autres que j’avais perdu de vue et avec qui on s’est rapproché. Evidemment, quand on vit une vie comme ça, ce n’est pas simple parce qu’on est vraiment en décalage avec les autres. Et chacun fait sa vie. Je n’en veux pas du tout aux gens que je ne vois plus. Avec Pauline (une Tarnaise en Australie), vu qu’on a des vies parallèles mais qui se ressemblent un peu, on est assez proche, on s’envoie souvent des petits messages. On se comprend sur ce qu’on vit alors que parfois, avec des gens qui n’ont pas ces petites expériences, c’est difficile de se comprendre.
Qu’est-ce qui vous manque de la France ou du Tarn ?
La nourriture ! On a une très bonne cuisine en France. Si vous allez manger une raclette avec un verre de vin, pensez à moi s’il vous plait (rires). Avant j’allais chez Mango toutes les semaines, Mango me manque ! Là je vis avec deux pantalons, trois t-shirts et deux pulls. Je les change quand ils sont troués ou cassés alors que chez moi, ma chambre c’est un dressing ! Mais bon, ma vie d’avant ne me manque pas même si je m’en souviens avec affection. Ce n’est pas du manque, c’est un souvenir profond et plein d’amour. C’est très différent.
La question que vous me posez est intéressante car quand on part comme ça, on ne peut pas penser à ce qu’il nous manque. Sinon, on ne vit plus. Toutes les semaines je rencontre des gens différents qui ne restent pas, j’ai donc appris à profiter du moment présent. Tous les moments que j’ai vécu, je les garde comme un cadeau précieux. Le Tarn fait partie de mes racines. Je sais que le jour où je reviendrai, je serai super heureuse mais ce n’est pas pour autant que cela me manque.
La première fois que je me suis souvenue du Tarn, c’était quand j’ai senti une brise de vent dans la jungle. J’y ai vécu pendant 6 mois, à une saison où il y a rarement du vent. Ça m’a rappelé le vent d’Autan qui, lui, pour le coup, ne me manque pas du tout !
Parlez-vous de vos origines avec les gens que vous rencontrez ?
Bien sûr ! Le pire c’est quand je rencontre des français, là je suis chauvine à 100% ! Quand je tombe sur des parisiens ou des nordistes, je les lance sur le débat de la chocolatine (ndlr : ou pain au chocolat) jusqu’au fond de la jungle ! Et avec les gens d’ici, je ne fais que leur dire que la France, ce n’est pas seulement Paris mais qu’il y a d’autres villes, d’autres paysage, que c’est ça aussi la vraie France. Je suis très fière de mes origines, je dirais même que je le suis plus de ma ville et de ma région que de mon pays. Je suis très fière d’être Tarnaise, un peu moins d’être Française car on a une très mauvaise réputation ici (rires). On a une image de gens qui ne font que se plaindre, qui ne sont jamais content. C’est vrai qu’on est un peu comme ça parfois.
Justement, quelles différences vous avez pu remarquer entre les Français et les Mexicains/Colombiens ?
Nous les français, on est toujours en train de critiquer, toujours en train de s’occuper des autres. Ici, ils ne sont pas comme ça. Ils sont occupés à vivre, à être heureux, rien de plus. Ils n’ont pas d’argent, ils n’ont rien et tu les vois se marrer, à jouer avec leurs enfants au bord de la plage. Je crois que plus que tout, il faut vivre avec amour et mettre l’amour au centre de tout. Mais l’amour avec un grand A, celui qui consiste à vraiment accueillir l’autre sans jugement et sans appréhension. C’est vraiment ce que je découvre ici.
Un jour un ami m’a invitée à manger. Il me demande si j’aime le repas et je lui réponds “oui”. Là, il me regarde en me disant “T’aimes pas ?”. J’aimais vraiment son repas ! Mais ici, ils sont plus expressifs. Du genre : “Wow ! C’est trop bon ! C’est délicieux ! T’es trop bonne cuisinière !” alors qu’en fait, ils ne le pensent pas forcément. lci, il y a un côté très positif, très chaleureux que je trouve vraiment agréable parce que cela conditionne ta manière de vivre. Je trouve ça génial et j’apprends.
Qu’appréciez-vous le plus et le moins au Mexique ?
Là où je suis, au Mexique, ce que j’aime ce sont les paysages, les gens, la langue et la nourriture. Ce que je n’aime pas trop, c’est que c’est très touristique et les prix sont élevés. Donc j’ai envie de partir vers le côté pacifique du Mexique.
Et en Colombie ?
La Colombie ça a été une révélation ! J’en suis tombée amoureuse ! Sur les douze mois que j’ai passé là-bas, je suis restée 11 mois dans la Sierra Nevada que j’appelle la petite Amazonie. Ce sont des montagnes mais qui ont l’avantage de donner sur la mer. Donc je vivais dans la jungle mais je voyais l’océan. Les paysages sont magnifiques là-bas. Les couleurs sont tellement folles que j’avais l’impression d’être sous substances, mais je vous rassure je ne me drogue pas (rires). Les couleurs étaient vraiment indescriptibles.
Les fruits sont aussi délicieux. On partait marcher pendant 3h pour récolter les mangues et les avocats par terre. On enlevait la peau avec les dents et on mangeait ça comme ça. C’est ça la vraie vie ! Moi je ne demande rien de plus, je ne voyage pas pour faire de belles photos sur Instagram. Je voyage pour des moments comme ça. En Colombie je me suis connectée avec la nature.
Pourquoi être partie de la Colombie ?
Soit tu cherches un travail et tu restes là, sois tu profites de de tes années « voyages » pour découvrir autre chose. Au pire des cas, la Colombie sera toujours-là et tu peux y retourner quand tu veux. Je ne voulais pas rester pour être dans une zone de confort, dans quelque chose que je connaissais. Je serai bien restée mais au bout d’un moment j’ai senti qu’il fallait partir donc je n’ai pas réfléchi, j’ai pris l’avion et je suis partie. Je voulais connaître autre chose, voir autre chose. La vie passe vite… J’ai dit aux gens d’ici que je reviendrai dans 10 ans pour Noël…
Il y a un truc important aussi, c’est que les voyages ne se résument pas forcément aux endroits où tu vas. Ce sont surtout les gens que tu rencontres. C’est tellement vrai parce que je me rends compte qu’au final, les endroits que j’ai adoré, c’est quand j’y ai trouvé des gens qui m’ont beaucoup apporté. Les endroits magnifiques oui c’est sympa sur les cartes postales mais ça ne suffit pas…
On a eu des passages difficiles, parfois, faut pas croire. Les gens croient que je suis en vacances depuis 1 an et demi, que ma vie ce n’est que du rose…non pas du tout en fait ! Quand tu voyages autant de temps c’est la vie normale. Ce ne sont pas des vacances. Donc j’ai eu aussi des moments très compliqués dans lesquels tu prends conscience que tu es à 10 000 km de chez toi …
Tu as vécu quoi comme épreuves difficiles ?
Je suis quelqu’un de très enjouée, très positive, très lumineuse. Du moins, c’est ce qu’on me dit souvent. Là où je vais j’amène ma lumière, ma bonne humeur. En revanche, je suis aussi très angoissée. Il y a des moments où je suis au plus bas, je suis mal, à la limite de la dépression. Du coup, j’ai traversé ce genre de phases aussi lors de mes voyages, vu que cela fait partie de moi.
Je me suis rendu compte d’un truc, on veut des trucs énormes dans la vie, une maison, des enfants etc… Mais le bonheur cela peut ne pas être si énorme. On peut être heureux avec des choses simples. Je me suis d’ailleurs fait tatouer un soleil pour me souvenir que nous sommes un soleil, nous sommes la joie. Une épreuve c’est dur mais ce n’est pas traumatisant. Je me sers de ces expériences pour construire quelque chose de positif et prendre une leçon de vie. Mes moments difficiles étaient les mêmes que tout un chacun. Les trucs de la vie, quand une personne te fait chier, quand tes études te stressent, la peur de ne pas avoir assez d’argent…
Comment le Mexique vit avec la pandémie ?
Il y a un peu deux poids, deux mesures. Là où je suis c’est touristique donc ils ne peuvent pas tout fermer. Les Mexicains ici sont masqués mais les touristes non. A part cela, les bars sont ouverts, les restaurants aussi. Par contre, quand tu vas dans un magasin, il y a un nombre maximum de personnes autorisées à l’intérieur et tu dois porter le masque. J’ai l’impression que les Mexicains essayent de se protéger mais que les touristes n’en ont rien à faire. C’est vrai qu’ici il y a plus de liberté qu’en France. C’est un sacré plus. Je le savoure et je pense fort à vous (rires).
Et vous, vous respectez bien les règles sanitaires ?
Quand j’étais en Colombie, je respectais énormément. Dès que le Covid est apparu, je ne sortais qu’une heure par semaine, juste pour faire mes courses. Après dans la jungle, je n’étais pas non plus enfermée dans un environnement. Juste avant de partir au Mexique, je me suis mise en quarantaine, j’essayais d’éviter au maximum les contacts. Mais depuis que je suis arrivée ici, j’avoue que j’oublie un petit peu les règles à certains moments. Vu que les gens à côté de moi ne sont pas très vigilants, que tout est ouvert, c’est difficile de respecter tout le temps les gestes barrières. J’ai l’impression que cette pandémie nous divise. Il y a deux camps. Ceux qui respectent et ceux qui ne respectent pas trop. Vu que tout le monde juge tout le monde, on a tendance un peu à suivre ceux à côté de nous. Mais dans l’ensemble, j’essaye de respecter.
Quels sont vos futurs projets ?
Avec moi, les projets changent tous les jours*. Pour l’instant, à court terme ce serait de faire des tatouages pour gagner un peu d’argent ou me trouver un petit boulot puisque j’aimerais bien me poser quelque part au Mexique pendant quelques mois, le temps de finir mes études ( ndlr : un DESS à distance avec une université du Canada en administration des affaires, gestion du développement international et de l’action humanitaire). C’est compliqué d’étudier et de bouger à la fois. Ensuite l’objectif final, ce serait de remonter vers l’Amérique du Nord et partir au Canada d’ici 1 an, pour y travailler 1 an ou 2. Avant ça, puisque je suis à côté du Guatemala, je souhaiterais y faire un petit tour. Mais avec le Covid c’est compliqué puisqu’il faut faire des test PCR et ce n’est pas remboursé (ça coûte plus de 100€).
* Depuis notre entretien, Marie a trouvé l’amour. Ses projets peuvent de nouveau évoluer.