La mairie de Villefranche d’Albigeois réhabilite une ancienne maison de Jean Jaurès

Objectif : obtenir le label « Maisons des Illustres » qui signale des lieux dont la vocation est de conserver et transmettre la mémoire de personnes qui ont marqué l’histoire politique, sociale et culturelle de la France. Cette résidence villefranchoise appelée « Bessoulet » symbolise un pan inconnu ou méconnu de la vie du tribun socialiste. Un pan qui n’en est pas moins important… au contraire.

Le projet d’un maire et son village

C’est Bruno Bousquet qui a embarqué son conseil municipal dans cette aventure. Celui qui est maire de Villefranche d’Albigeois depuis 2020 est un passionné d’Histoire. Il n’est pas originaire de la commune mais c’est lorsqu’il a été élu conseiller municipal en 2016 qu’il a fait son 1er saut dans le passé villefranchois. « J’ai découvert une plaque dans la salle du conseil municipal sur laquelle on peut lire « Louis Jaurès ».  J’ai fait mes petites recherches, Louis était le fils de Jean Jaurès et c’est là que j’ai appris qu’ils avaient habité le village. » se rappelle-t-il. « Je passais devant son ancienne propriété tous les jours, sans savoir qu’elle avait été à lui. » renchérit-il.

Le sujet a immédiatement plu à Bruno Bousquet. Il a passé des années à se documenter sur l’ancien député tarnais, sa famille et tout ce qui les relie à Villefranche. Mais tout ça, sans savoir qu’un jour il porterait un projet très concret autour de cette maison qui avait été complètement oubliée. Les nombreux ouvrages publiés sur l’histoire de Jean Jaurès ne se sont jamais vraiment attardés sur Bessoulet. Et avec le temps, elle s’était complètement effacée de la mémoire collective des Tarnais et même de la plupart des Villefranchois. « C’est quand j’ai été élu maire en 2020 que je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de cette résidence, qu’il ne fallait pas la laisser mourir ou se détruire tout simplement.«  explique-t-il.

Le conseil municipal a suivi avec enthousiasme dans l’optique de rendre au village et à ses habitants une partie de son Histoire. « Au fond on ne met pas le parcours et le message de Jaurès en avant. Il y a des spécialistes pour ça comme la Fondation Jaurès, les études jauressiennes… Notre idée c’est plutôt de laisser une trace et une mémoire de son passage et de montrer aux habitants comment était la vie ici au début du 20ème siècle. C’était sans électricité, sans eau courante et avec des calèches pour se rendre à la gare du village. » raconte Bruno Bousquet.

Une résidence familiale

« Bessoulet » c’est plus qu’une maison initialement. C’est une ferme en forme de U sur une partie agricole, et tout près, une maison de maître bourgeoise avec un parc. Un domaine comme on en voit beaucoup dans les campagnes tarnaises en somme. Ce qui fait sa particularité c’est que le plus grand homme politique que le Tarn ait fait naître y a passé beaucoup de temps. « Jean Jaurès venait y séjourner égulièrement entre 1886 et 1914, une fois qu’il s’est marié à une Villefranchoise : Louise Bois. » indique le maire du village.  La propriété appartenait à la famille de cette dernière. Au départ, elle a une distribution très classique : 3 pièces au rez-de-chaussée puis 3 nouvelles pièces à l’étage avec un escalier permettant d’y accéder. Mais en 1911, le député socialiste décide de remanier entièrement les lieux. « Il change les ouvertures de place, il décale l’escalier et à l’étage redistribue complètement la partie chambre. » précise Bruno Bousquet. C’est à partir de là que l’endroit devient une vraie résidence secondaire dans laquelle le couple Jaurès reçoit très fréquemment.

Bessoulet à l’époque de Jaurès

Si aujourd’hui le domaine est tombé dans l’oubli, il était connu de tout le monde dans le pays à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème. Selon le maire actuel de Villefranche d’Albigeois : « Bessoulet pour Jaurès c’est comme quand on parle de Latché pour François Mitterrand dans les année 80 ou de La Boisserie pour le Général de Gaulle quelques années auparavant. C’est une maison où l’on retrouve un Jaurès dans l’intime. Il vient y séjourner l’été et au cours de quelques vacances avec sa femme et ses deux enfants ». D’ailleurs, la presse de l’époque se plaira beaucoup à caricaturer Jean Jaurès comme un châtelain. Lui, l’homme de gauche qui portait des valeurs plus sociales.

Le tribun est le personnage central de cette maison de par ses activités politiques. Nombre de ses écrits ont été rédigés depuis son antre de Villefranche. Pour certains, on en est sûr. C’est le cas d’articles pour l’Humanité et la Dépêche du Midi, de poèmes, ou encore de l’ouvrage dans lequel il évoque la défense nationale et la paix : « L’armée Nouvelle ». Et puis il y a ses grands discours ou ses pensées philosophiques dont on ne peut assurer qu’ils ont été écrits à Bessoulet, mais on sait qu’il se trouvait très souvent dans le Tarn dans ces moments. Mais l’histoire de cette résidence secondaire c’est aussi celle de l’épouse de Jaurès , Louise Bois, et ses deux enfants, Louis et Madeleine. Le fils, un garçon brillant, est mort sur le front à la 1ère Guerre Mondiale pour défendre l’honneur de son père qui s’est battu contre le déclenchement de cette guerre. Quant à la fille Madeleine, elle restera célèbre pour sa communion solennelle organisée à Villefranche et à laquelle a assisté son célèbre père. « Cela avait provoqué un tollé dans le pays et dans la presse. Jean Jaurès portait plutôt en effet des valeurs anticléricales. Lui et sa femme ont du beaucoup se justifier  à l’époque. En plus, c’était en juillet 1901… quatre ans seulement avant la séparation de l’église et de l’Etat. » se rappelle Bruno Bousquet. « C’en était peut-être les prémices.«  imagine-t-il.

4 générations de propriétaires (féminines) de Bessoulet. Dont la fille de Jean Jaurès (1ère à partir de la gauche) et son épouse (2ème à partir de la gauche en blanc)

De l’oubli à la renaissance

C’est quand Jaurès sera assassiné, le 31 juillet 1914, à Paris, que Bessoulet va commencer à perdre son âme. Après la mort du socialiste, son épouse va vivre entre Paris et Villefranche. Quand elle mourra en 1931, sa fille Madeleine va hériter de la propriété mais elle n’y viendra que rarement. Les heureux moments qu’elle y a vécu sont déjà très loin. Par la suite, la maison va entrer dans la sphère politique comme l’explique Bruno Bousquet : « Madeleine va vendre le domaine en 1950 au département du Tarn qui l’entretiendra pendant 6/7 ans avant de le céder aux mairies de Carmaux et de Saint-Benoît-de-Carmaux. Celles-ci ont voulu garder ce bien jauressien dans l’escarcelle politique et ont refusé de le vendre ». Par la suite, une colonie de vacances et un centre aéré ont investi les lieux jusqu’en 2014. Depuis, le site était abandonné et aucun travaux n’avait vraiment eu lieu depuis les années 60/70.

Des travaux, c’est donc la première chose que la municipalité de Villefranche a du réaliser pour son projet culturel.  « On a enlevé la peinture jaune, rose, verte des colonies de vacances, on a tout nettoyé. On a détapissé et on a retrouvé sous les tapisseries les couleurs originelles. Donc on est reparti de ces couleurs là, on a revu toutes les plinthes et les mains courantes pour recréer le décor comme Jaurès a pu le connaitre à cette époque. Tout ça en lien avec l’architecte des bâtiments de France. » explique le maire de Villefranche. Parce que le projet d’une maison des illustres se résume à cela : remettre les lieux dans l’état où l’illustre en question les a connus. Bruno Bousquet et son conseil municipal vont donc s’appliquer, désormais, à remeubler le domaine Bessoulet comme au début du 20ème siècle.

Une pièce rénovée de Bessoulet

Pour obtenir le label « maison des illustres », un dossier a été déposé. Quant au projet culturel, il est en cours de construction. La Drac Occitanie (Direction Régionale des Affaires Culturelles) aide le petit village tarnais dans ce cheminement. La municipalité espère également que le conseil régional d’Occitanie et le conseil départemental du Tarn pourront également donner un coup de pouce dans les prochains mois. Avec le label en poche, le lieu pourra être ouvert aux visites (au moins 40 jours par an). Pour Bruno Bousquet c’est tout à fait réalisable :  » Si on arrive à faire venir les scolaires du département, si on ouvre pour les journées du patrimoine et pendant l’été, cela peut faire venir beaucoup de monde à diverses périodes ». D’autant qu’il existe d’autres lieux en lien avec Jean Jaurès dans le Tarn. Le maire de Villefranche serait ravi qu’un circuit autour de l’histoire du tribun socialiste se créé. « Carmaux, Saint-Benoît de Carmaux, le cénotaphe à Albi, la maison natale et le musée Jean-Jaurès à Castres… bref il y a beaucoup de choses à voir sur la vie de Jaurès dans le Tarn. Et Bessoulet peut s’inscrire là-dedans. » estime-t-il.

Désormais, tous les éléments sont en place. Il ne reste plus qu’à concrétiser le projet. Bruno Bousquet aimerait que tout soit prêt pour le 23 novembre 2024, soit dans un an jour pour jour. Ce sera le 100ème anniversaire de la panthéonisation de Jean Jaurès. Une cérémonie pourrait être organisée à cette occasion.

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